Léon Trotsky : Lettre à Natalia Ivanovna Sédova

[19-20 septembre 1933. Lev Davidovitch Trotsky, Natalia Ivanovna Sédova-Trotsky : Correspondance 1933-1938, pp. 55-56, voir des annotations là-bas]

Le 19 septembre 1933]

Ma chère Natalotchka, aujourd’hui, ça a été pour moi une journée difficile, mais bonne : vives et chaudes discussions avec R. M., en présence, et avec la participation, de Liova, Blasco, Erwin, Lesoil et tous les nôtres d’ici. J’ai beaucoup parlé, par moments d’une manière très brusque, mais non pas injurieuse, paternelle au contraire, et cela a été senti par tout le monde. Il s’est créé une atmosphère de cohésion, d’attention, et je me sentais être… le vieux maître d’école. Ensuite, Liovoussiatka est venu me voir dans ma chambre ; il y a eu d’abord quelques phrases insignifiantes, puis je lui ai dit quelque chose à propos de moi-même, il a mis sa tête sur mon épaule, m’a étreint en me disant : « Papotchka, je t’aime bien fort. » Tout à fait comme un petit garçon. Je l’ai étreint bien fort et j’ai serré ma joue contre sa tête. Il a senti que j’étais ému et il est sorti de la chambre sur la pointe des pieds… Il y a eu ensuite encore un entretien en bas, dans la salle à manger, mais ce n’était plus du tout un entretien politique ; au contraire, c’était une conversation calme et d’un ton « intime ». Tous les yeux me regardaient avec tant d’affection et je me sentais de nouveau être le starets, mais sans amertume, plutôt avec une certaine chaleur, peut-être légèrement mêlée de tristesse. Pendant cet entretien j’ai souvent attrapé le regard brillant du petit Liova qui se posait sur moi. Il n’a pas bonne mine ; il est pâle, il a un teint terreux. Lesoil et Blasco viennent de partir (par le train) ; Raymond, Liova et Bauer partent demain matin en automobile. Je regrette que Liova s’en aille ; ici, on me traite très bien; mais, tout de même, il n’y a personne qui soit tout à fait mien.

La journée d’aujourd’hui m’a quand même fatigué et je veux aller dormir ; il est maintenant neuf heures et demie. Bonsoir, ma Natalotchka, ma petite chérie, dors-tu bien ? Avec de l’Adalin ou sans ? Porte-toi bien, sois tranquille.

Ton

L.

Le 20 [septembre 1933]

Pendant la nuit, quand je me réveillais, je t’ai souvent appelée à haute voix : Natalotchka, où es-tu ? Guétier disait que la vieillesse ne nous fait pas retomber en enfance, mais qu’en venant à nous elle trouve de vrais enfants. Après m’être senti pendant la journée être une sorte de starets plein de sagesse, la nuit je me suis senti être un petit garçon abandonné qui appelle sa maman.

Portez-vous bien, Natalotchkas chéries L

Liova a oublié cette lettre (je la lui avais rappelée !).


Kommentare

Schreibe einen Kommentar

Deine E-Mail-Adresse wird nicht veröffentlicht. Erforderliche Felder sind mit * markiert