[7 juillet 1933. Source Léon Trotsky, Œuvres 1, Mars 1933 -Juillet 1933. Institut Léon Trotsky, Paris 1978, pp. 228-230, Titre « Problèmes posés par le séjour en France », voir des annotations là-bas]
Cher camarade Henri Molinier,
J’ai reçu vos deux télégrammes et celui de Parijanine. Votre dernier donne des précisions : séjour provisoire dans le Midi, séjour définitif en Corse. Ces succès importants, comme d’ailleurs tout succès, créent de nouvelles difficultés.
Aller d’ici dans le Midi pour deux ou trois mois signifierait vivre sur le bivouac, sans archives, etc. et puis de grosses dépenses, déplacement pour les bagages, etc. Si l’on pouvait envisager, étant donné notre vie bien docile et tranquille, d’obtenir l’autorisation de rester sur le continent, ce serait naturellement plus raisonnable d’y aller directement, mais on ne peut en avoir la certitude par avance.
Une autre considération ; les staliniens seront bien inquiets quand ils apprendront le geste libéral du gouvernement français. Staline obligera le parti français à faire quelque scandale éclatant, coûte que coûte. Son but serait clair : démontrer aux autorités françaises le grand désavantage de notre séjour en France ; même si le gouvernement français était disposé à tolérer la prolongation de notre séjour dans le Midi de la France, quelque manifestation de scandale pourrait l’amener à raccourcir notre séjour sur le continent.
Tout cela me paraît indiquer l’orientation directe vers la Corse. Natalia, qui a un besoin imminent de traitement médical, pourrait aller sur le continent une ou deux semaines après notre arrivée ; je pourrais peut-être la rejoindre un ou deux mois après si les choses marchaient bien. J’aurais en Corse les livres et les matériaux les plus nécessaires pour continuer mon travail, ce qui est une condition nécessaire pour assurer notre existence là-bas.
Je n’oublie pas les avantages du continent sur la Corse ; douze heures de distance ! Si vous croyez qu’on pourrait bien s’installer dans quelque coin du Midi, assez à l’écart pour prévenir la possibilité de scandales staliniens (ou de russes blancs), que le séjour provisoire pourrait assurément se transformer en séjour définitif et que, par conséquent, on pourrait aussi diriger les gros bagages (livres et archives) sur le continent, ce serait naturellement la solution la plus favorable, mais elle me paraît assez problématique, et, si je la mentionne, c’est pour que l’« analyse » soit complète.
Si l’on se décide pour la Corse, il faut élaborer l’itinéraire. Nous connaissons les difficultés de passer par Marseille. Le trajet Istanbul-Corse est-il possible ? Par l’Italie ? Van déclare que c’est très compliqué et probablement impossible. Peut-être pourrait-on s’entendre avec la compagnie française (pour) que le bateau nous laisse descendre devant la Corse dans une barque à moteur ? Tout cela paraît bien compliqué. D’un autre côté, le passage par Marseille peut se présenter cette fois-ci beaucoup moins avantageusement qu’il y a quelques sept mois : la police n’est pas obligée de nous donner sa vedette. Elle peut bien appliquer sa méthode : laisser faire, laisser passer. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Et de quelle manière s’installer en Corse ? Louer auparavant une villa isolée ? Qui le fera ? Et comment ? Ou s’installer à l’hôtel et commencer les recherches ?
Je voudrais bien envoyer de l’argent à Paris pour les dépenses préalables. Malheureusement, avec les nouvelles restrictions sur le change, on ne peut envoyer maintenant d’ici que 25 livres… J’essaierai de diriger quelque somme de Londres (Manchester Guardian) à Paris, et l’écrirai aussi à New York. Mais cette dernière voie est bien longue.
Toutes ces questions et toutes les difficultés qu’elles comportent signifient que le départ d’ici ne pourrait s’effectuer ni demain ni même après-demain, même si on avait reçu le visa. Nous allons expliquer au consulat que nous nous servirons de l’autorisation après que tous les préparatifs nécessaires auront été accomplis par nos amis de France. Pour l’instant, nous n’avons pas encore le visa. Van s’est entendu avec le consul pour qu’il demande la réponse télégraphiquement, les frais étant couverts par nous. Demain, au sortir du consulat, le camarade Van vous télégraphiera.
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