[28-29 septembre 1933. Lev Davidovitch Trotsky, Natalia Ivanovna Sédova-Trotsky : Correspondance 1933-1938, p. 72-46, voir des annotations là-bas]
Le 28 sept[embre] 1933
Natalotchek, Natalotchek, mon lointain. Aujourd’hui, toute la journée on aurait dit que la tempête allait emporter la maison. J’ai enfin fini de dicter un grand article pour le Bulletin et pour notre presse en général ; demain je finirai de le mettre au point et je l’enverrai à Liova. Ce n’est pas mal venu, me semble-t-il ; c’est sur une question qui maintenant préoccupe beaucoup notre public : l’U.R.S.S. est-elle encore un État ouvrier?
J’ai reçu un tas de lettres de gens qui veulent me voir : une journaliste américaine qui sympathise avec le communisme, un camarade suisse (Ost), l’écrivain allemand Toller, un rédacteur de Strasbourg, deux camarades belges (Vereeken, qui t’envoie son salut, et un autre). Cela devient dif-fi-ci-le à arranger, mais il est impossible de refuser. La majorité des visites, cependant, se fera après le repos. Van part demain pour la conférence, je lui donnerai cette lettre; vraisemblablement, avec lui, elle ne se perdra sans doute pas. L’inégalité de mon écriture vient de ce que j’écris sur un genou, dans le fauteuil du coin, que je me suis mis à aimer. Sara s’est très bien remise, elle a une mine presque florissante. Véra a un caractère excellent ; elle travaille comme une esclave, mais elle est toujours gaie et affable ; Jeanne ne travaille pas moins, mais elle est un peu plus absente et plus sombre, bien que ces derniers temps elle se soit mise à me traiter non pas du tout comme une institution, mais un peu comme le membre le plus âgé de la famille, pour ainsi dire. Les jeunes se sont éreintés et se sont tués à travailler; surtout Van, le « technocrate ». D’ordinaire, le soir je lis les journaux dans mon coin, mais ce soir on ne les a pas apportés ; le marchand de journaux a fermé boutique par manque de clients ; maintenant, il faut apparemment aller les chercher à la gare [de Royan]. J’ajouterai encore, chère Natalotchka, que je suis là avec de chaudes pantoufles et que je n’ai pas encore eu froid une seule fois, ce que je vous souhaite également.
J’ai terminé mon traitement contre la malaria; demain je commence à prendre le fortifiant : du phosphore avec de la strychnine. Je me sens assez bien ; la tête est tout à fait claire ; la seule chose, c’est que je ne dors pas très bien. Mais le repos, je l’espère, me rendra aussi le sommeil. Maintenant je veux encore écrire quelques mots à Lina Sém. au sujet de son fils ; il lui sera agréable d’entendre une bonne opinion.
Je viens d’aller en bas, j’ai descendu les journaux. Schmidt venait de se mettre au piano, je suis resté dans la salle à manger avec tout le monde… l‘Appassionata… C’est honteux, j’ai failli me mettre à pleurer, il n’y a rien au-dessus de cette musique, mais que sais-je de la musique, Natalotchka? Réussiras-tu à entendre de la vraie musique à Paris ? Je crains seulement d’avoir du mal à m’endormir, la musique m’a beaucoup ému. Quel monde Beethoven portait-il en lui et quel héritage a-t-il laissé! Herriot a écrit un livre sur Beethoven, il me semble qu’un tel philistin ne peut comprendre un homme comme Beethoven (mais que sais-je au juste de Beethoven?…).
Le 29 septembre. Voilà, je viens de me réveiller encore une fois, un nouveau jour se lève, je veux maintenant travailler à mon article et, après cela, écrire (avant le départ) sur le roman de Malraux. Porte-toi bien, Natalotchka, ne sois pas si triste, je vois par tes lettres (et par leur rareté) que physiquement tu te sens plutôt mal et, en général, que tu es en quelque sorte abattue. Ma chérie, ma chérie, porte-toi bien.
Ton
L.
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