[25-27 septembre 1933. Lev Davidovitch Trotsky, Natalia Ivanovna Sédova-Trotsky : Correspondance 1933-1938, p. 70-71, voir des annotations là-bas]
Le 25 septembre 1933
Où es-tu, Natacha ? La lampe est de nouveau allumée sur la petite table de nuit, tout le reste de la chambre est dans l’obscurité, d’en bas viennent les sons du piano, par la fenêtre entre le rugissement de l’océan. Aujourd’hui, pluie le matin, puis soleil brillant; je me suis promené dans le jardin, je suis resté allongé sur le banc…
C’est le troisième jour du traitement contre la malaria, sans quinine; pas de bourdonnements d’oreilles, d’ailleurs aucun indice subjectif indiquant que je sois « en traitement ». L’appétit est excellent. Ce traitement se termine dans deux jours. Où es-tu, Natalotchka? Terriblement loin. Il me semble par moments que j’ai oublié ton visage. Cette pensée en général me poursuit terriblement ces derniers mois, depuis la mort de Z. Je veux beaucoup, beaucoup te voir. Nous pourrons bientôt, peut-être, nous installer ensemble.
Le 26. Natalotchka, j’ai reçu de Lux Furtmüller une lettre remarquable : très, très sensée, excellemment écrite du point de vue littéraire, elle m’a aussi terriblement ému tant parce qu’on y sent une pensée jeune qui cherche intensément que par son attitude envers moi personnellement. J’étais allongé (par exception) dans ma chambre sur le divan et j’ai lu la lettre avec une émotion extraordinaire, dans laquelle se combinaient une joie suprême et une vive tristesse; la lettre inspirait la conviction que notre cause serait continuée et suggérait en même temps l’idée qu’elle serait continuée sans nous.
Il a envoyé cette lettre fin juillet et elle a été trouvée par hasard dans une pile de papiers dans la chambre de Jeanne (mais, semble-t-il, ce n’est pas sa faute, bien entendu). Où et comment la lettre a-t-elle passé ces deux mois, je ne peux pas le comprendre. Et lui, le pauvre, se tourmentait. Je lui ai même envoyé un télégramme aujourd’hui, pour lui dire que je venais seulement de lire sa lettre et que j’allais lui répondre immédiatement.
Le 27. J’ai reçu une lettre de toi (avec ta lettre pour Véra ; c’est bien que tu lui aies écrit). Hier, Henri est arrivé à l’improviste pour arranger ses vacances dans un endroit convenable. Aujourd’hui, il était parti dès 10 heures et demie du matin. C’est un homme excellent, sensé et capable. J’ai maintenant du travail pardessus la tête; je prépare toutes sortes de projets de thèses et de résolutions, je veux envoyer tout cela sans faute ce soir.
Tu as tort de t’inquiéter, Natalotchka, ma chérie ; je n’ai pas eu froid une seule fois. J’ai trouvé le linge de demi-saison dans l’armoire; d’ailleurs, il ne fait pas froid du tout, je suis là avec ma veste de toile, les deux fenêtres grandes ouvertes, et j’ai chaud.
Liova et Jeanne sont l’un et l’autre, semble-t-il, des personnes très distraites. Liova devrait tout de même mettre un peu d’ordre dans ses affaires. Il n’a même pas de carnet (un carnet qui devrait être toujours dans la même poche), il prend des notes sur des petits bouts de papier, les fourre dans différentes poches, les perd, s’énerve. Je lui avais donné la lettre de la main à la main, en insistant : « Ne l’oublie pas, je t’en prie. » Ensuite, avant le départ, je lui ai demandé : « Tu n’oublieras pas de remettre la lettre ? » Il se tapa la poche d’un air absent : « Non, non, penses-tu… » Il a dû changer de vêtements. Je ne me fâche pas, Natalotchka, mais il doit absolument se discipliner… Ne te chagrine pas…
Je te serre bien, bien fort dans mes bras et je te donne des baisers, ma petite chérie à moi.
Ton
L.
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