Léon Trotsky : Lettre à Henri Molinier

[14 mai 1933,Source Léon Trotsky, Œuvres 1, Mars 1933 – Juillet 1933. Institut Léon Trotsky, Paris 1978, pp. p. 177-179,titre : « questions personnelles », voir desannotations là-bas]

Cher Camarade Henri Molinier,

Je m’adresse à vous pour une question personnelle. Il faut trouver un moyen d’approcher mon éditeur allemand. Il me semble que la meilleure voie passe par Paris. Selon l’opinion de Madame Pfemfert, ma traductrice, l’éditeur S. Fischer me devait 5 000 marks, il y a quelques mois. L’impression de Liova (3 bis) est toute différente, mais malgré cela, Madame Pfemfert insiste sur le chiffre de 5 000 marks avec la certitude la plus complète : elle avait reçu cette information de la bouche de M. le Dr Fischer-Bermann lui-même (c’est le beau-fils du vieux et le vrai directeur de la boîte). Vous comprenez bien quelle importance est maintenant devenue cette question pour moi. Le couple Pfemfert a essayé d’entrer en relations avec l’éditeur par correspondance, et par (l’intermédiaire de) la sœur de Mme Pfemfert à Berlin. Sans succès. Fischer ne répond pas, et, paraît-il, se dérobe devant la visite de la sœur de Mme Pfemfert. II ne s’agit pas pour lui, naturellement, d’éviter le paiement. Sous ce rapport-là, les bonshommes sont bien loyaux. Mais vous comprenez bien jusqu’à quel point ils sont maintenant gênés par la liaison avec un auteur dont les livres sont brûlés solennellement par la canaille nazie. Des relations avec Pfemfert en fuite ne peuvent augmenter non plus le crédit de l’éditeur qui risque d’être exproprié de toute sa fortune. Ce qui n’est pas sans importance. Je ne vois dans ces conditions d’autre possibilité que d’envoyer quelqu’un de « neutre » du point de vue race, nationalité, tendance politique, à deux fins, a) mettre au clair la question argent et me rapporter les marks s’il y en a, b) sauver mes livres à l’étranger pour les vendre dans les pays de langue allemande. Le camarade Frank émet l’hypothèse, que je trouve tout à fait heureuse, de l’intervention du camarade Reiland, le libraire luxembourgeois : vous devez d’ailleurs le connaître au moins de nom. Je serais tout à fait heureux si vous pouviez donner un coup de main dans cette affaire, après un entretien avec Liova qui peut avoir quelques renseignements supplémentaires. Je joins à cette lettre deux certificats, un au nom de Reiland, et l’autre en blanc, où vous introduirez le nom qui convient si la combinaison avec Reiland ne se réalise pas. Dans le texte du certificat, je ne mentionne pas Fischer, exprès, au cas où le document tomberait accidentellement aux mains des nazis. Le porteur du certificat devra expliquer tout cela à M. Bermann ou à son adjoint.

Reiland serait tout à fait indiqué aussi pour sauver au moins une partie de mes livres (l’autobiographie et surtout deux volumes de l‘Histoire. Cette question devrait naturellement être bien étudiée, et Reiland pourrait même faire une bonne affaire comme libraire en devenant dans ce cas le « monopoliste » de mes trois livres pour les pays de langue allemande. Je ne lui écris pas directement pour ne pas lui rendre difficile un refus dans le cas où les circonstances ne lui permettraient pas d’intervenir dans cette affaire.

Encore une question, pas aussi grave, mais qui a pour moi une importance. Elle est liée avec les démarches de Parijanine concernant le visa. J’ai écrit ces derniers mois deux articles pour la presse américaine, l’un sur Herriot, l’autre sur Poincaré. Par prudence, j’ai envoyé l’article sur Herriot à Parijanine pour lui demander si mon éloge, bien problématique, des hommes d’État français, ne pourrait pas gêner son action en ma faveur. Parijanine me répond : ce serait une catastrophe. Or ces deux articles représentent une valeur de quelques centaines de dollars. Quelle valeur représentent les perspectives de Parijanine ? Je n’en sais pas grand-chose. J’envoie tout de même aujourd’hui, le cœur bien serré, un télégramme à Eastman : «ne publiez pas mes articles sur Herriot et sur Poincaré». Comment appréciez-vous les démarches de Parijanine ? Avez-vous causé avec lui ? Dans ma première réponse à son initiative tout à fait amicale, je lui ai proposé de mener cette affaire en liaison permanente avec vous.


Kommentare

Schreibe einen Kommentar

Deine E-Mail-Adresse wird nicht veröffentlicht. Erforderliche Felder sind mit * markiert