Léon Trotsky : Un appel pour un nouveau drapeau

[13 mars 1934, Source Léon Trotsky, Œuvres 3, Novembre 1933 – Avril 1934. Institut Léon Trotsky, Paris 1978, pp. 252-254, voir des annotations là-bas]

La brochure de la camarade Reese repose plus sur son expérience politique immédiate et ce qu’elle a personnellement vécu que sur des considérations historiques et théoriques générales — et c’est précisément là ce qui fait l’intérêt de ce texte. A sa lecture, le travailleur qui réfléchit revivra une fois de plus les grands événements d’Allemagne et vérifiera les conséquences politiques qu’il en a tirées pour lui-même. C’était certes bien nécessaire pour l’ouvrier allemand, mais cette brochure sera particulièrement utile pour les ouvriers des pays où le fascisme s’apprête pour la première fois à faire du pouvoir d’État une force meurtrière pour écraser le prolétariat. Il ne sera possible de désarmer la réaction déchaînée que si l’avant-garde prolétarienne internationale touche du doigt les causes qui ont provoqué la monstrueuse défaite du prolétariat allemand, les étudie avec soin et se les assimile parfaitement.

Le travail de la camarade Reese est un acte d’accusation contre les deux appareils qui, dans le sabotage de la révolution prolétarienne, ont joué des rôles certes très différents par leurs motifs et leurs méthodes, mais également funestes par leurs résultats : les sections allemandes de la IIe et de la IIIe. Comme l’armée dans la guerre, le parti prolétarien fait ses preuves dans la situation révolutionnaire. Pour le parti social-démocrate, le seul fait que les contradictions de la démocratie bourgeoise s’étaient concentrées en une crise impossible à résoudre par des moyens démocratiques signifiait déjà la mort politique. Que le parti communiste ait abordé cette exacerbation inouïe des contradictions dans l’impuissance, l’indétermination, l’irréflexion, c’est là la preuve irréfutable que son attitude et sa formation politique et théorique antérieures étaient insuffisantes et fausses.

Les réactions de la social-démocratie autrichienne après l’expérience allemande ont prouvé que les partis « de gauche » de la IIe Internationale étaient eux aussi complètement sclérosés et décomposés, et qu’ils ne pouvaient tirer aucun enseignement révolutionnaire de la terrible expérience du prolétariat allemand. Les courageux combats des travailleurs autrichiens montrent seulement que le prolétariat, même dans les conditions les plus défavorables et avec la plus mauvaise direction, peut se montrer courageux et capable de combattre. Que quelques chefs social-démocrates aient pris part à ces combats, ce n’est, dans le meilleur des cas, qu’une preuve de leur bravoure personnelle. Mais la classe ouvrière exige de sa direction la compréhension politique et le courage révolutionnaire, dont l’absence ne peut être comblée par des vertus personnelles, suscitées d’ailleurs par les événements. Le bourgeois moyen lui-même est souvent capable, quand on menace de le déranger dans ses habitudes et ses aises, de faire parler la poudre. Mais il s’agit de donner systématiquement à l’avant-garde une éducation révolutionnaire, et de gagner la confiance de la majorité de la classe ouvrière à la clarté de vues et à l’audace de l’état-major prolétarien. En dehors de cela, la victoire est absolument impossible. La social-démocratie autrichienne, pendant des années, a menacé de répondre par la violence si on portait atteinte à ses droits démocratiques. Ce faisant, elle a transformé l’action révolutionnaire en une menace juridico-littéraire qu’elle ne prenait même pas au sérieux elle-même. Seule une direction qui prévoit que la révolution est inévitable, qui fait de cette prévision le principe de base de son action, et qui en tire toutes les conséquences pratiques, peut être à la hauteur du moment critique de la situation. C’est pourquoi, en dépit des actions héroïques du prolétariat autrichien — et dans une certaine mesure, grâce à ces actions héroïques —, la faillite de la IIe Internationale en Autriche n’est ni moins évidente, ni moins définitive qu’en Allemagne.

Tournons par exemple nos regards vers la petite Norvège : nous y trouvons également un parti social-démocrate qui n’est « puissant » que par le nombre, et qui, certes, sous la direction de Tranmael, a été empêché jusqu’à maintenant, par des événements contraires, de se joindre officiellement à la IIe Internationale, mais qui exécute sa « marche triomphale » en cinglant dans le sillage de l’austro-marxisme, et qui, par conséquent, ouvre, de toutes ses forces, la voie au fascisme norvégien.

Mais, du côté de la IIIe Internationale, non plus, cela ne s’annonce pas mieux. Des gens qui ne tirent de l’expérience allemande et autrichienne que la confirmation du prétendu « pronostic » de la direction du Comintern, ne représentent rien de plus qu’un bouillon de culture d’abrutissement bureaucratique. Si la passivité, le fatalisme démoralisant du parti communiste allemand, l’abandon complet du parti autrichien au moment décisif, ne leur apprennent rien, qu’est-ce qui pourrait bien, je vous le demande, leur apprendre encore quelque chose ? Aussi bien, nous constatons que, dans les sections française, anglaise, et dans toutes les autres sections du malheureux Comintern, la théorie du « social-fascisme » pousse aujourd’hui encore ses fleurons les plus beaux. Les bureaucrates communistes ont la gueule remplie de mots d’ordre comme « la révolution d’Octobre », « les soviets partout », etc. Mais, de l’alphabet de la révolution prolétarienne, ils n’ont même pas compris les premières lettres. Les soviets se développent à partir des formes d’organisation du front unique combattant de la classe ouvrière. C’est à partir des organisations d’autodéfense, des manifestations de rue, des grandes grèves, etc., que se constitue la concentration organisationnelle des masses laborieuses qui contraint même les organisations conservatrices à prendre part à cette organisation, même si c’est dans l’intention cachée de la détruire ultérieurement (les mencheviks russes en 1917, les social-démocrates allemands et autrichiens en 1918-1919, etc.). Les partis staliniens qui entravent, sabotent, mettent en pièces toutes les formes organisées du front unique, barrent politiquement la route à la création des soviets. Et la doctrine du social-fascisme a été et reste le couronnement théorique de ce sabotage de la révolution.

Aussi ne peut-on tirer des événements aucun autre enseignement que la nécessité de créer une nouvelle élite révolutionnaire, de rassembler l’avant-garde prolétarienne sous un nouveau drapeau, c’est-à-dire de former de nouveaux partis et une nouvelle Internationale. Et que la brochure de Maria Reese s’achève sur un appel en ce sens, c’est ce qu’elle a de politiquement positif.


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